Quel avenir pour la tech européenne ?

En matière de numérique, il est souvent question du modèle souverain et singulier que devrait tracer l’Europe pour espérer rivaliser avec les autres puissances mondiales.

Les tenants de ce discours convoquent généralement deux outils : la fiscalité et la régulation.

Ces solutions ont bien évidemment leur importance. Mais il ne faudrait s’y méprendre : pour défendre nos valeurs et nos principes, nous avons avant tout besoin de plus de licornes, d’investissements et de compétences.

L’occasion pour moi de vous parler des derniers enseignements du rapport « State of European Tech », paru le 7 décembre dernier.[1]

Une année de tous les records


Je m’en réjouis, 2021 restera sans doute pour longtemps un millésime technologique exceptionnel.

Tout d’abord, les start-ups européennes ont bénéficié d’une vague d’investissements sans précédent. Pour la première fois de son histoire, la tech européenne a dépassé la barre des 100 milliards d’euros d’investissements annuels. Elle devrait même, selon le rapport, s’acheminer vers un total de 121 milliards d’euros en 2021, soit plus du triple de 2020 !

Cette vague inédite s’explique principalement par l’évolution de la structure des levées de fonds, avec des tours de tables de plus en plus gros : les fameux « megarounds », évalués à plus de 250 millions d’euros, ont augmenté de 418% sur l’année.

Massives, les levées de fond ont dans le même temps renforcé la taille des entreprises européennes : en 2021, l’Europe aura gagné 98 licornes, évaluées à plus d’un milliard d’euros, et 26 décacornes, valorisées à plus de 10 milliards.

Un motif de satisfaction, à l’heure où la taille des entreprises détermine largement les rapports de force.

Un manque d’inclusion persistant


Comme j’ai eu l’occasion de vous l’écrire dans un billet précédent sur le rôle des deep tech, la place des femmes dans le secteur des nouvelles technologies constitue un enjeu fondamental, sur lequel je veux ici encore une fois insister.

C’est sur ce plan que le bât blesse inexorablement en Europe : les fondateurs de nos pépites sont incroyablement talentueux, jeunes et diplômés, mais ils sont également dans l’écrasante majorité des cas masculins. À tel point qu’aujourd’hui, en Europe, les parts de femmes fondatrices et P.D-G de start-ups s’élèvent respectivement à 15% et 25%.

Les dynamiques inégalitaires sont au cœur de la tech européenne. Elles concernent les femmes, mais pas seulement : milieux sociaux défavorisés et pays d’Europe Centrale et Orientale sont, par exemple, sous-représentés. Au terme de l’année écoulée, seulement 5% des investissements réalisés par des fonds de Venture Capital (capital-risque) auront afflué vers les pays d’Europe Centrale et Orientale, alors que la zone jouit pourtant de la première démographie d’Europe.

Une locomotive nommée intégration

Je suis convaincu que lutter contre les barrières sociales, géographiques et de genre à l’entrée de la tech européenne n’est pas seulement un enjeu de justice sociale, mais également un grand défi économique et culturel : mis bout à bout, ces obstacles génèrent une redoutable perte sèche d’idées, de talents et d’innovations pour le continent.

Pour les lever, je crois que l’Europe a, par-dessus tout, besoin de poursuivre sa logique d’intégration.

Intégration des territoires, d’abord. La tech européenne ne pourra durablement faire l’économie d’un modèle ouvert à la diversité des talents. Ceux-ci sont présents partout sur le territoire : c’est pourquoi je plaide pour un accès équitable aux outils numérique, une meilleure couverture en haut débit et l’instauration d’un droit à l’administration numérique.

Intégration des outsiders, ensuite. S’il faut se féliciter des programmes d’accompagnement des entrepreneuses mis en place par l’Union Européenne, je suis dans le même temps convaincu que l’essentiel du combat est à mener bien en amont, dès le plus jeune âge. Développement des rôles modèles au plus près du terrain, partenariats entre centres de recherche, entreprises innovantes et établissements scolaires, valorisation de la culture scientifique à l’école comme dans l’espace public : politiques éducatives et culturelles doivent se rejoindre autour d’un inlassable travail de transformation des représentations.

Intégration des écosystèmes technologiques nationaux, troisièmement. Ici, pensons à l’instauration de dispositifs de partage et d’alignement de bonnes pratiques entre pays innovants et moins innovants ou à la création de filières européennes destinées à consolider nos avantages comparatifs (fintech, start-ups à impact, deep tech notamment).

Intégration des marchés du travail nationaux, enfin. Mise en place d’un statut de tech worker, instauration de la portabilité des droits sociaux à travers le continent, création accélérée de visas pour les travailleurs de la tech non-européens… Alors qu’un quart des entrepreneurs européens redoutent pour 2022 des pénuries de main d’œuvre au niveau des compétences les plus prisées, ces mesures, simples, auraient le mérite d’y répondre en élargissant les bassins de recrutement.

Mais, contrairement à une idée de plus en plus répandue, je ne suis absolument pas convaincu que le bonheur de nos start-ups réside dans la généralisation du full remote : créativité et circulation des idées se nourrissent au contraire d’un lien social de qualité.

Plus de tech et d’humain, tel doit donc être le projet !


[1] https://stateofeuropeantech.com/chapter/executive-summary/

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